La Rinconada, située à 5 300 m d’altitude dans la région et province de Puno, au sud-est du Pérou dans la cordillère des Andes, est la ville la plus haute du monde. Près de 50 000 habitants y vivent.
L’EXPÉDITION 5300 (expédition scientifique et humanitaire), un groupe de scientifiques grenoblois contacté par un médecin péruvien s’intéressant à La Rinconada, s’est rendue dans cette ville pendant six semaines et a découvert l’incroyable.
Cette ville a moitié moins d’oxygène qu’en plaine. Elle n’a ni culture, ni de tout à l’égout. Les locaux y montent depuis des milliers d’années, pour y rester toute leur vie ou pour y exploiter les mines d’or s’y trouvant. Leur sang est si visqueux qu’il bouche les machines médicales. L’oxygène sanguin est si rare qu’en bas ils seraient hospitalisés de suite.
« Leurs aptitudes génétiques, accumulées et préservées au fil des milliers d’années de vie en altitude, s’avèrent exceptionnelles : à Puno, les habitants vivent normalement là où la plupart des gens des plaines peineraient à reprendre leur souffle. Mais même ces péruviens adaptés à l’altitude atteignent leurs limites à La Rinconada, 1,5 km plus haut. Pour compenser le manque d’oxygène dans l’air, les habitants produisent un nombre très élevé de globules rouges, les transporteurs d’oxygène dans le sang. Chez un habitant des plaines, les globules rouges représentent 40% du volume sanguin. À Puno, cette valeur monte à 56%, soit un peu plus qu’un athlète très entraîné. À La Rinconada, les chercheurs mesurent des valeurs « hallucinantes » allant jusqu’à 80 à 85% », a relaté Camille Gaubert, journaliste et rédactrice Santé au magazine Sciences et Avenir dans son article, publié hier. Ce sont « les plus hautes valeurs du monde », a déclaré Samuel Vergès, chercheur à l’Inserm à la tête de l’EXPÉDITION 5300, auprès du magazine. « Si nous nous transfusions du sang d’un habitant de La Rinconada, nous ferions un AVC en quelques minutes à quelques heures », a ajouté le chercheur.
« […] pour compenser cette viscosité, le volume de sang est plus important, 8 litres au lieu de nos 4 à 6 litres ! […] Mais même cette impressionnante quantité de globules rouges ne parvient à se charger en oxygène qu’à 82%, tandis que la valeur normale se situe plutôt à 98% », a précisé la journaliste. Du « jamais vu », selon Samuel Vergès.
Cependant, un quart des habitants souffre du mal chronique des montagnes.
« En février 2019, Samuel Vergès réalisait avec plus d’une dizaine de scientifiques et médecins spécialistes de l’hypoxie (le manque d’oxygène) les premières expériences sur des péruviens vivant en haute altitude, où l’oxygène se fait rare. À Puno d’abord (haute de 3.800 m) puis à La Rinconada (5.300 m), respectivement 23 et 55 personnes ont vu leur sang analysé, leur réaction à l’effort observé, leur génome disséqué. L’objectif : comprendre comment et dans quelles conditions ils vivaient malgré le manque d’oxygène, afin d’aider au soin de maladies entraînant l’hypoxie, ou encore à la conquête de l’espace », a expliqué la journaliste.
« Dans les plaines, des résultats de ce type enverraient quelqu’un à directement l’hôpital […] toutes les valeurs sont dans le rouge, mais pour ces populations particulières elles ne sont pas forcément pathologiques », a déclaré le chercheur. « Pourtant, si grâce à leur condition exceptionnelle ces péruviens vivent plutôt bien à Puno, lorsqu’ils montent vivre à La Rinconada 25% d’entre eux développent le syndrome du mal chronique des montagnes, version longue durée du mal aigu des montagnes », a rapporté la journaliste.
« 5 à 20% des habitants de haute altitude – plus de 2.500 m de haut – souffrent de ce mal chronique des montagnes. Un quart, c’est donc beaucoup », a estimé le chercheur.
Selon les scientifiques de l’expédition, ce mal chronique serait probablement dû à une usure de l’organisme face à ces conditions extrêmes. « Il se peut aussi que les produits agressifs utilisés pour traiter l’or ou les conditions sanitaires et le régime alimentaire jouent un rôle », a spécifié Samuel Vergès. Bien les scientifiques n’aient pas de données suffisantes pour estimer l’espérance de vie à La Rinconada, ils ont toutefois remarqué que très peu d’habitants avaient plus de 55 ans.
« En février 2020, un an après la première phase de l’Expédition 5300, l’équipe retourne donc à La Rinconada pour y mettre en place un essai clinique visant à soigner au mieux ce mal chronique des montagnes. […] En parallèle, pour aider ces habitants vivant dans le dénuement le plus complet, l’Expédition 5300 organise une campagne de dons« , a conclu Camille Gaubert. Ce projet vise à aider la population avec des fournitures scolaires et des kits de soin de première nécessité.